mardi 10 avril 2012

Les Malheurs de Marion


Il était une fois, moi, un lundi. 
La veille, petit déjeuner pascal chez Dalia et Alia, avec Lucy, Manon et Kristina. Kristina nous présente la tradition Lituanienne qui veut qu'à Pâques, on casse nos oeufs durs colorés les uns contre les autres, le craquelé ayant perdu mais pouvant être engloutit (comme ça personne n'est vraiment perdant, ou gagnant). On mange des pancakes (rien de très pâques mais je crache pas dessus), des roses des sables version English faites par Lucy, des bons fruits frais et autres salades. Pas de chocolat étonnamment. 





Le concept étant un pot luck, on avait prévu avec Manon de rapporter une bonne brioche homemade comme celle-ci:

Sauf que. 
Sauf que les Américains, ils ne connaissent pas la bonne brioche au sucre. Donc ils n'en n'ont pas la recette. Donc on cherche une recette française. Qu'on suit. Avec des mesures françaises. C'est là qu'intervient un processus pan-culturel d'adaptation, et de transposition de coutumes et de codes d'une civilisation à une autre, autrement appelé conversion.
Nous suivons donc religieusement les indications d'un site comme celui-ci.
De manière évidente, quelque chose s'est produit. (ça sonne tellement mieux en anglais: "obviously, something went wrong").

Le lendemain matin (dimanche donc), au réveil, on se fait une joie de goûter à nos jolies petites brioches qui, bien que n'ayant apparemment pas la texture de brioches, ont l'air toutefois fameuses. Comme quoi, l'habit ne fait pas le moine. Ni la brioche.

Un goût absolument affreux de levure rend nos chefs d'oeuvre non pas mauvais mais complètement immangeables, si ce n'est un danger sanitaire...




Heureusement, Manon et Damien avaient fait un bon fondant chocolat-orange et des supers lasagnes chèvre épinards, du coup la veille on s'était consolés d'avance.




Un ptit chocolat quand même.



Mais revenons à ce lundi. (Vous remarquerez que l'espace temporel de cet article est quelque peu distordu, vous m'en excuserez).

Le Lundi c'est trois heures de sciencespo, de midi à 15h. Notre assignment: choisir l'affaire sur laquelle on va bosser tout le quarter, produire un dossier dessus et en devenir les experts. (pour plus d'explications cf un article précédent, je ne sais plus lequel).
Notre panel de choix: les affaires sur le docket de la Cour Suprême pour ce term. C'est à dire, les affaires qu'elle a choisi d'entendre et de décider avant les vacances de début juillet. On ne peut pas choisir d'affaire ayant déjà été décidée puisque le but de notre recherche est de prédire la décision en question.

Je cherche donc parmi les affaires sur ce site.
Au cas où quelqu'un d'autre choisirait notre affaire, il ous en faut une back-up one.
Mon top 2, donc:
1/ Miller v Alabama et Jackson v Hobbs
2/ Fisher v University of Texas at Austin

S'il y a deux affaires dans mon premier choix c'est parcequ'elles sont liées: ce sont deux affaires très similaires impliquant les droits constitutionnels et procéduraux des enfants quand ils sont accusés de meurtre.
Ce dossier est parfait pour moi: je viens de passer un quarter entier sur l'aspect racial et historique de la question et ai rédigé tout un paper sur son aspect légal. Il me faut ces affaires.

Au cas où, mon back up plan: Fisher v UTX  @Austin, une affaire d'Affirmative Action, j'ai énormément de documentation là dessus aussi et l'historique de la Cour Suprême sur la question est bien ancré dans ma tête.

Je vais donc en cours contente de mes choix, préparée à exposer les trois affaires, à m'étendre sur les questions constitutionnelles qu'elles soulèvent, à les replacer dans leur contexte idéologique et légal et à en mesurer tous les enjeux.

Mais toute cette bonne volonté fut mise à rude épreuve.
Le prof procède à un random call où il nous appelle au hasard pour qu'on lui donne nos affaires.
Mon premier choix est pris.
Un peu de blablatage et un exemple sur le granting certiorari plus tard, je me rend compte que mon deuxième choix n'était même pas éligible: il fait partie du docket de 2012 et les audiances n'ont même pas encore eu lieu.

Génial.

Et tout le monde y va de son petit exposé, tout content d'avoir eu son premier ou deuxième choix. 
Et vient l'exposé sur mon premier choix. Pardonnez-moi la vulgarité mais les mots décrivent fidèlement l'exposé: nul à chier. Elle n'y connaissait rien, lisait apparemment une page internet en parlant et n'avait absolument aucune idée de l'évolution historique de la rhétorique autour de la question. Je lui aurait jeté une tomate à la figure si je ne l'avais pas mangé 5 minutes avant, durant la pause.

A la fin du cours, les 3 orphelins d'affaires restent avec le prof. Parmi eux: une fille qui avait aussi Miller/Jackson en premier choix et s'était fait sucré son 2e choix as well, une fille inutile qui passe sa vie sur facebook et à textotter alors qu'elle s’assoit constamment à côté du prof, et moi.

La prof demande à la fille inutile: 
"-C'était quoi ton 1er choix?"

"- Fisher v UTX" qu'elle répond

Ouais sauf que ma grande tu t'es autant planté que moi: c'est ineligible.

"Mais regardez, j'ai fait un power point et tout hihi. Oui j'ai marqué euhhh... ben j'ai marqué que c'était une question de civil liberties (sans blague!!??) et que euhh... ben c'est pas une nouvelle issue (non!?) hihi"

"- Well... it's true that there's a lot of precedents in terms of Affirmative Action so I guess..."

non... non il va pas dire ce qu'il va dire là??

"well yeah, you can take it".

Je rêve.

"- But since there's no oral argument, you'll have more job
- Well, actually if I may, the case is about testing UTX's plan in relation to Grutter and to the Equal Protection Clause. But we know the plan was made precisely to meet Grutter's requirements so what really is at stake here is the overruling of Grutter as violating the 8th Amendment. So I guess she can find material in the oral arguments of the petitionners in Grutter."

what.
the.
fuck.

Cette dernière phrase, ce "conseil" à la fille inutile facebookiennomane textatrice, c'est MOI qui l'ai prononcé. Moi, l'orpheline d'affaire qui vient de se faire violemment retirer ses bébé sans aucune pitié pour la petite étudiante étrangère que je suis.

Damn!

Et l'autre orpheline d'affaire vient de s'en trouver une sur un prisonnier qui basically s'est fait tabassé par les gardiens et qui réclame le respect de ses droits constitutionnels contre un cruel and unusual punishment protégé par le 8e Amendement. Précisément l'affaire dont j'avais parlé à Manon la veille parceque je la trouvais intéressante.

Je rentre à la maison furax, toujours sans affaire, avec une envie de taper tout ce qui m'entoure. Mon ordinateur en premier, parcequ'il continue de planter encore et encore et encore et encore et encore et encore... et encore.

Je décide de me relaxer (nan sérieux, je me suis même foutue par terre position du lotus et tout).
De retour sur la recherche d'affaires disponibles. 

Pour vous donner la couleur, c'est de la veine de:

"Novo Nordisk sued Caraco Pharmaceutical Laboratories and Sun Pharmaceutical Industries Inc. for infringement in the wake of Caraco filing an abbreviated new drug application for a generic version of the Type 2 diabetes drug Prandin"

et autres:

"Does Section 8(b) of the Real Estate Settlement Procedures Act prohibit a real estate settlement services provider from charging an unearned fee only if the fee is divided between two or more parties?"


Un verre d'eau. Et des pillules avec des ptites tetes de mort dessus. Tite souite.

(...)

Mes nerfs se calment légèrement quand je tombe sur l'affaire d'un pilote, décelé séro positif et qui en informe son assurance santé mais pas la FAA (Federal Aviation Administration). Sauf que la Sécu a refilé son dossier à la FAA, qui l'a viré.
La question concerne la disclusure, j'aurais d'abord questionné le: "nan mais d'où tu vire un mec parcequ'il est séro-positif toi?!!", mais c'étai pas l'enjeu ici.

Bref, très bien, c'est un très maigre lot de consolation mais ça fera l'affaire.


Pour rester sur ce mood décompression et le pousser un peu plus loin, je regarde Intouchables, superbe film avec Omar et F.Cluzet.




J'ai enfin mon affaire, je commence mes recherches.

"blablablabla" ... "blablablablabla"... "Dans son opinion, la Cour à affirmé que..." ... "blablablablabla" ... "blablabla...
hein?!! Attendez un peu là... quoi???!!

Comment ça "son opinion"? L'affaire a déjà été décidée?

aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhhhrrrrggggg

Mais c'est quoi ce jour tout pourri????

(...)

On recommence les recherches.

Yes! Dans un recoin tout poussiéeux de la liste, caché au milieux de discours soporifique sur les logements et autres contrats de propriétés, je découvre une affaire qui concerne en fait le disproportionate impact d'un housing covenant.
Cool, ça c'est intéressant. Ca va être technique mais le fond de l'affaire reste bien des civil liberties et des droits des minorités. Avec un peu de chance, j'aurais même une amicus brief de la NAACP.

Je commence joyeusement mes recherches.

Mais mon article porte bien son nom.

Mesdames et messieurs, pour la première fois dans l'histoire de la Court Suprême Américaine, (affirmation à vérifier), les parties d'une affaire qui est remontée jusqu'à la dernière instance de cet immense pays (ce qui coûte des dizaines et des dizaines de milliers de dollars) et qui a été choisie par les justices pour être entendue (ce qui ne concerne en moyenne que 2% des affaires présentées), ont décidé ...
d'abandonner l'affaire!

youpi!

...

Je l'savais, j'aurais dû aller à la messe pour pâques.


La question qui pend à vos lèvres: alors? tu bosses sur quoi du coup?

Ma réponse, désabusée et morose:
Une affaire de procédures. Sur le hearsay (ouïe dire) et le 6e Amedement, plus particulièrement la confrontation clause, c'est à dire le droit d'être confronté à tout témoin ou preuve contre soi.
Plus précisément, c'était une affaire de meutre où, lors du procès, un des arguments avancé impliquait un test ADN qui a été présenté par un scientifique autre que celui qui a fait le test en question. Celà constitue-t-il un ouïe-dire?

Ouais, c'est chiant.
Et je vais devoir bosser tout le semestre dessus.

Ou sinon, je le vois comme ça:

c'est un challenge. L'affirmative Action, les juveniles rights, j'ai étudié ça pendant deux quarters et, comme je l'ai dit, j'ai ça en tête. De toute façon ça me passionne donc si je suis amenée à rencontrer ça de nouveau un jour, ça reviendra vite et l'étude sera toujours aussi passionnante.

Là, ce que je dois étudier est complètement nouveau pour moi. C'est bien plus froid, procédural, n'implique pas de droits civils mais plutôt des due process rights. Je vais penser aux scientifiques dans ces procès comme à ce cher Dex, aux experts de Manhattan, à la fille de Bones, à n'importe qui qui pourrait rendre le tableau plus fun.
Et je vais lui démonter son dossier comme il a jamais vu ça. De toute façon, c'est pas son domaine d'expertise, au prof, contrairement à l'affirmative action ou à la cruel and unusual punishment clause du 8e amendment qui est en jeu dans les affaires Miller et Jackson. Donc j'aurais moins de pression.

Et puis finalement, au fil de mes recherches encore tatillonantes, je me retrouve à explorer les fin fonds des Federal Rules of Evidence, à en lire de long en large sur les évolutions de qu'est ce qui constitue un hearsay, dans quels cas il y a non-hearsay ou hearsay exception, pour quels types de hearsay la confrontation clause est-elle applicable et sur quel matériel (la différence étant faite entre les trials à proprement-dit et les sentencing trials qui, toutefois, comprennent des composantes du trial quand ils ont à faire à les mitigating factors dans le cas d'une défense "affirmative" ou encore s'ils rencontrent des aggravating factors sur une affaire de peine de mort ou encore à chaque fois qu'un facteur sert à rendre la sentence plus lourde que ce que les textes prévoient pour l'accusation validée par les jurés. Ces facteurs, bien que dans un sentencing trial sont alors considérés comme des trial left overs et sont donc soumis à la confrontation clause.)

Cette dernière parenthèse qui ne fait ni queue ni tête prouve bien mon point: finalement, c'est passionnant.



Comme quoi l'habit ne fait ni le moine, ni la brioche, ni l'affaire constitutionnelle.





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